Il est difficile d’établir un lien de causalité entre le surpoids, l’obésité et la santé mentale en raison de la nature complexe et multiforme de ces affections, et des limites de toute étude scientifique. Il est important de ne pas interpréter comme causales des associations qui en réalité ne le sont pas. Voici une explication simple sur les raisons qui font qu’il est parfois difficile d’établir des relations de cause à effet, en nous aidant des « points de vue » sur la causalité proposés par l’épidémiologiste A. B. Hill :

Nature bidirectionnelle de cette association :
Le surpoids / obésité et les problèmes de santé mentale s’influencent mutuellement. Par exemple, les problèmes de santé mentale peuvent entraîner une prise de poids par le biais de modifications du comportement et de la physiologie, et vice versa. Cette relation bidirectionnelle complique l’identification d’un lien de cause à effet.
Facteurs de risque communs :
Le surpoids, l’obésité et les troubles de santé mentale peuvent partager des facteurs de risque communs, tels que les prédispositions génétiques, les traumatismes dans l’enfance (violence, abus sexuels), le statut socio-économique et les influences environnementales. Démêler ces facteurs communs des liens de causalité pose un défi méthodologique.
Le problème de la troisième variable (ou « de confusion »):
La présence de troisièmes variables, également appelées variables de confusion, peut compliquer l’interprétation des associations observées. Ces variables peuvent influencer à la fois le surpoids, l’obésité et la santé mentale, ce qui conduit parfois à une interprétation erronée de la corrélation.
Causalité inversée :
On parle de causalité inverse lorsque la direction de la causalité est opposée à l’hypothèse initiale. Par exemple, les personnes souffrant de problèmes de santé mentale peuvent adopter des comportements qui contribuent à la prise de poids, plutôt que la prise de poids ne soit à l’origine des problèmes de santé mentale.
Études longitudinales (=avec plusieurs passages) :
Pour mieux comprendre la relation temporelle entre le surpoids / obésité et la santé mentale et pour établir si la cause supposée précède l’effet observé, les chercheurs mènent des études longitudinales. Ces études suivent les participants sur une longue période, en recueillant des données à plusieurs moments. Les chercheurs peuvent ainsi suivre l’évolution du poids et de la santé mentale au fil du temps, ce qui leur permet de déterminer si la cause précède l’effet et donc de mieux comprendre les relations de cause à effet. Ces études observationnelles sont cependant limitées par la présence de variables de confusion (voir ci-dessus).
Recherche interventionnelle :
Par opposition aux études observationnelles, durant lesquelles on se contente d’observer un phénomène sans intervenir, les études interventionnelles (ou expérimentations) ont pour objectif d’évaluer les effets d’un traitement, d’une action de prévention ou de toute autre intervention. Ces études impliquent la mise en place d’un traitement ou d’une intervention (par exemple, une intervention de perte de poids) et l’observation de ses effets sur une autre variable mesurée avant et après l’intervention (p.ex. la santé mentale). On peut imaginer aussi la situation inverse, où l’on évaluerait l’effet d’une intervention de santé mentale sur le poids corporel.
Plusieurs devis d’études sont utilisés dans les études interventionnelles (dites « expérimentales »), mais on préfère les essais contrôlés randomisés, car ils fournissent la méthode la plus solide pour déduire un lien de causalité. Dans les essais randomisés, les participants sont attribués par tirage au sort au groupe qui reçoit l’intervention ou à un groupe témoin (control group) qui ne la reçoit pas. L’attribution aléatoire des participants permet de constituer deux groupes absolument identiques (comportant le même nombre de femmes et d’hommes, même âge moyen, même poids moyen, mêmes moyennes pour les indicateurs d’état de santé, etc.) et ainsi d’éliminer l’effet des variables de confusion. Si on observe des différences entre les groupes après l’intervention, on peut attribuer toutes ces différences aux effets de l’intervention et éliminer toutes les autres causes. On dispose ainsi de la méthode la plus solide pour établir des liens de causalité. Les essais randomisés et les autres types d’études interventionnelles présentent cependant certaines limites.
Défis de la recherche interventionnelle :
Généralisation :
Les études interventionnelles se déroulent souvent dans des conditions éloignées du contexte de « vie réelle », et il est parfois difficile de généraliser leurs résultats à des populations plus larges. La nature contrôlée de ces études les éloigne des complexités du monde réel.
Interventions complexes :
Le poids corporel et la santé mentale sont influencés par une multitude de facteurs. Les interventions doivent refléter cette complexité, et elles doivent être acceptables et adoptées par les patients sur le long terme. Les interventions ciblant un seul aspect peuvent ne pas saisir toute la complexité des facteurs causant les pathologies étudiées. Enfin, le meilleur traitement n’aura pas d’effet s’il n’est pas adopté et utilisé régulièrement par les patients sur une longue période.
Considérations éthiques :
Il peut être difficile, d’un point de vue éthique, de proposer certains traitements ou certaines interventions dans le cadre d’une recherche, en particulier si l’intervention présente des risques ou des effets secondaires, ou si elle limite l’autonomie des participants.
Les « points de vue » de Austin Bradford Hill sur la causalité :
En 1965, l’épidémiologiste anglais Sir Austin Bradford Hill publiait un article célèbre et très souvent cité depuis, intitulé « The environment and disease« , dans lequel il décrivait plusieurs critères (qu’il appelle des « points de vue ») dont la présence peut nous convaincre de la nature causale d’une association. En plus des éléments mentionnés ci-dessus, ces « points de vue » sont les suivants:
Spécificité :
Lorsqu’un effet apparaît suite à une seule cause, et que cette cause suffit à produire cet effet, on dispose d’un bon argument en faveur de la causalité, mais cette situation est très rare.
Relation dose-effet:
Si l’effet augmente lorsque l’intensité ou la durée de l’exposition augmentent, alors on dispose d’un autre argument en faveur de la causalité.
Plausibilité:
On aura davantage tendance à croire à la nature causale d’une association si l’on dispose d’une explication sur les mécanismes biologiques, psychologiques ou sociaux liant la cause à l’effet. Toutefois, l’absence d’une explication plausible ne doit pas conduire à rejeter une hypothèse causale.
Cohérence:
On aura davantage tendance à croire à la nature causale de l’association si cette dernière ne contredit ce que l’on sait déjà à propos du phénomène observé. Toutefois, des découvertes nouvelles remettent parfois en question des théories que l’on croyait établies.
Stabilité des résultats:
On aura davantage tendance à être convaincu par un résultat si celui-ci est reproduit par plusieurs équipes de chercheurs, travaillant dans des pays différents, utilisant des méthodes différentes, ou étudiant des populations différentes.
Temporalité (la cause précède-t-elle l’effet?):
Pour établir un lien de causalité, il est nécessaire d’établir avec certitude que la cause précède l’effet, mais cela n’est pas toujours possible. En particulier, les études transversales, qui recueillent les données à un seul moment, rendent difficile l’établissement de la séquence temporelle nécessaire pour savoir si la cause précède l’effet. Les études longitudinales (=avec plusieurs recueils de données séparés par une certaine durée) permettent de remédier à cette limitation.
Analogie:
Si la recherche préalable montre que l’exposition à un autre facteur, proche du facteur étudié (p.ex. une molécule similaire dont l’on connaît déjà les effets), cause le même effet, alors on dispose d’un argument supplémentaire en faveur de la nature causale de l’association.
Conclusion :
On dispose rarement de tous les arguments ou « points de vue » de A. B. Hill pour établir avec certitude l’existence d’un lien de causalité, et bien souvent, seule l’expérimentation (essais randomisés) permet d’établir un lien de causalité, mais de tels essais ne sont pas toujours réalisables, et ils ont des limites. Il est donc souvent difficile d’établir si le surpoids, l’obésité et la santé mentale sont liés de manière causale. L’accumulation de critères de Hill et la combinaison d’études longitudinales et de recherches interventionnelles bien conçues permet une compréhension plus nuancée de ces interactions complexes et des éventuels liens de causalité. Il est tout aussi important que les patients et les soignants comprennent la complexité de ces associations et les limites de toutes les études scientifiques, même les essais randomisés, afin de ne pas interpréter comme causales des associations qui en réalité ne le sont pas. Ces conclusions s’appliquent à bien d’autres domaines de la santé et de la science.
Référence:
Hill AB. The Environment and Disease: Association or Causation? Proceedings of the Royal Society of Medicine. 1965;58(5):295-300. doi:10.1177/003591576505800503
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